Les fils de lumière
Dans les pays de désert, où souffle le vent qui dessèche les pierres, l’ombre se réfugie dans les maisons et c’est là, souvent dans la fraicheur de la semi pénombre que s’épanouissent les plus belles fleurs.
Elles ornent les nappes et les commodes, les murs, les souliers, les sacs parfois. On les voit aussi courir au bas des robes, s’enrouler en cravate autour du cou des hommes et même parfois de leur couvre-chef.
Lumineuses, chatoyantes, multicolores, duvetées de fils de laine, satinées de reflets, irisées de moirures de soie, rehaussées de perles de verre minuscule, striées parfois de fils d’or ou d’argent, sculptées à même l’étoffe, ou resculptées en relief sur d’autres motifs, les broderies traditionnelles racontent d’un bord à l’autre de la terre la formidable ode à la nature que font jaillir depuis les temps immémoriaux les mains de toutes les femmes du monde dès lors qu’un peu fil et une aiguille se retrouvent entre leurs doigts.
Irrépressible désir de célébrer la vie et par dessus tout sa beauté à travers les motifs les plus simples qu’elles ont devant les yeux ou s’imaginent avoir, la broderie n’est pas tant un art de surface que l’expression d’une créativité viscérale. Consubstantielle au féminin? On peut se prendre à la croire, mais la réalité n’est pas non plus aussi simple, et si les brodeuses sont en effet le plus souvent des femmes, et mêmes des petites filles, il existe des pays où les hommes sont également rompus à l’art de tirer l’aiguille et où ce sont même eux que l’on voit broder sur la place publique ou dans les marchés.
Et si on retrouve dans la broderie les mêmes composantes que dans l’exercice de la maternité. patience et longueur de temps, la convocation de l’ensemble du corps en cet exercice de concentration extrême n’est pas question de genre mais bien d’une rigoureuse exigence d’exécution qui n’a rien à voir avec le genre. Forme, couleur, complexité du détail enchâssé dans un motif plus vaste s’ébauchent à la fois lentement et magiquement, entre la pointe de l’aiguille , la trame de l’étoffe et le fil piqué, tendu et tiré qui devient fleur, feuille, oiseau, arabesque… La broderie n’est pas tant un art décoratif que l’expression d’un besoin humain inhérent à notre humanité: celui d’une vision cosmogonique de l’univers où semblable en quelque sorte à celle de Dieu lui-même, c’est la main humaine qui relie en un même mouvement, animé de la même énergie et du même souffle vital le monde à la véritable créature qu’est devenu son reflet.