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 Chahar Shanbé Souri, La fête du feu

Chahar Shanbé Souri, La fête du feu

Cent jours avant Nowruz, les iraniens célèbrent Sadeh (centaine en persan) qui signifie l’apparition du feu. A cette occasion, depuis l’antiquité les populations de la région se réunissent autour du feu en attendant le retour de l’été et comme pour Shabé Yalda, cette fête populaire souligne la richesse d’une civilisation qui observait le cycle des saisons. Or, à la veille du dernier mercredi de l’année, depuis au moins 1 700 ans avant Jésus-Christ, ces mêmes iraniens célèbrent une autre fête, Chahar shanbé Suri, c’est à dire, la Fête du Feu.

S’il s’agit d’une fête liée au zoroastrisme, est aussi, extrêmement populaire dans le pays et constitue une part non moins fascinante de son héritage culturel. Ce mois-ci, Orient Héritage s’arrête donc sur les multiples traditions qui l’accompagnent non seulement chez les Perses d’Iran mais chez tous ceux qui, bien au-delà des frontières nationales et des pays où s’est établie la diaspora iranienne, la célèbrent de nos jours, comme les Kurdes, les Azéris, ou les Tadjiks.

 

 1. Le feu au cœur de l’hiver : une fête aux origines zoroastriennes

 “ Sautez par-dessus un feu de joie” pour Chahar shanbé Souri” afin de secouer l’obscurité de l’hiver et d’accueillir la luminosité du printemps” : ainsi l’édicte le rituel persan transmis depuis l’aube du zoroastrisme*. Littéralement, le mot de Chahar shanbé Souri, lui-même signifie, veille du mercredi, car cette fête a toujours lieu le soir du dernier mardi d’hiver, juste avant l’équinoxe hivernal qui marque le premier moment du printemps.

Le mot souri vient du persan sur, qui, en persan, signifie lumière. Mais ce pourrait aussi être une variante de sorkh qui signifie “rouge”. Rouge comme le feu des zoroastriens.

Une éminente linguiste, le Docteur Zohreh Zarshenas a évoqué le point de vue selon lequel cette fête plonge ses racines dans le rite zoroastrien Farvardin éguan de la Perse antique :

-“ Les zoroastriens n’éteignaient pas le feu de Tchahar shanbeh Souri et transféraient le reste du feu au temple du feu le lendemain matin.”

Et elle ajoute plus loin que :

-“Dans l’ancien calendrier iranien, les jours de la semaine n’existaient pas sous leur forme actuelle. Au contraire, dans l’ancien calendrier zoroastrien, chaque jour d’un mois était appelé au nom d’une divinité. “Il est naturel qu’il n’y ait pas eu de fête appelée “mercredi” dans les sources anciennes, “conclut cette linguiste.

Un autre professeur de littérature, le Docteur Kazzazi se réfère à la chanson populaire chantée lors de cette fête – ” Mon jaune vient de toi, ton rouge vient de moi”, dans laquelle les iraniens donnent du jaune et prennent du rouge pour affirmer que :

“le rouge, dans la culture iranienne est un signe de santé et de richesse alors que le jaune est considéré comme un symbole de pauvreté et de misère.”

 

Ces deux experts soulignent que le respect des anciens iraniens pour le feu était un respect symbolique. Les Zoroastriens n’adoraient jamais le feu. Au contraire, le feu a le même rôle symbolique dans le zoroastrisme que la croix dans le christianisme.

 

– “ Nous avons eu le recours au feu dans certaines fêtes iraniennes, telles que la fête de Sadeh. A la différence que le feu de la fête de Sadeh était dense, bruyant, ardent et fait pour être vu de loin. Mais le feu de la fête Tchahar shanbeh Souri est faible pour que les gens puissent facilement sauter par-dessus ”

 

Et le même spécialiste insiste donc sur la portée symbolique de cette manifestation :

“ La fête du dernier mercredi de l’année est étroitement liée à la chaleur et à la lumière. Tout comme la fête de Norouz, Tchahar shanbé Souri est un symbole de la victoire du jour sur la nuit.”

Chahar Shanbé Souri

 

2. Une fête à la portée symbolique

Le festival qui accompagne cette manifestation puise aussi dans les traditions les plus anciennes où on consacrait les dix derniers jours de l’année à l’Hamaspathmaèdaya, la fête de toutes les âmes, juste avant de célébrer la Nouvelle Année, le Norouz.

On purifiait à ce moment-là comme on le fait encore aujourd’hui les maisons, on jetait les meubles abîmés, on en achetait de nouveaux, et l’on faisait de même avec les vêtements dans la perspective de célébrer cette venue de la nouvelle année solaire qui commence le premier jour du mois de Farvardin. Il en va d’ailleurs toujours de même dans l’Iran d’aujourd’hui.

En cette soirée du dernier jour de l’année, cette fête d’une importance spirituelle extrême doit symboliquement marquer la fin de l’obscurité de l’hiver grâce à la victoire de la lumière.

Le feu et la lumière sont donc les deux attributs de cette métamorphose. En illuminant la dernière nuit de l’hiver, on va en définitivement en finir avec les rigueurs du froid et accélérer ainsi la venue de la lumière et du bonheur radieux lié aux beaux jours retrouvés.

Cette fête de la lumière se scinde traditionnellement en deux festivals : le Festival du Feu et le Festival du Saut du Feu.

En Iran et dans certaines parties de l’Inde et de l’Afghanistan, partout dans les villes et sur les places publiques on installe décorations et luminaires et on dresse de grands tas de bois pour les enflammer au moment du coucher du soleil et en faire d’immenses feux de joie.

Il est alors recommandé de sauter au-dessus des flammes en récitant ou en chantant la formule consacrée déjà citée plus haut et qui signifie :

« Zardi-yé man az to ; sorkhi-yé to az man” ( En persan: : زردی من از تو، سرخی تو از من)

-“ Donne-moi ta belle couleur rouge et reprends ma pâleur malade”

Autrement dit, figurativement “ Je te donne ma pâleur – ou ma maladie, je prends ta force – ta santé”.

Ce n’est qu’après tout le monde ait sauté que l’on peut éteindre les feux et couper les lumières : ce n’est pas seulement une nouvelle journée qui va commencer, mais aussi, une nouvelle année, un nouveau cycle de vie.

Chahar Shanbé Souri en iran

Cette fête est l’occasion d’un grand rassemblement intergénérationnel. Les iraniens envahissent l’espace public des parcs et des jardins. Les parents donnent l’exemple et sautent avec leurs enfants qui ont parfois l’air un peu apeurés d’aller pour la première fois aussi près des flammes. Les amoureux le font en tandem. Les bandes de jeunes s’affrontent au “coude à coude” en tout bien tout honneur pour faire valoir tant leur bonne entente que leur joyeuse rivalité. Les rues vrombissent d’explosions de pétards. Les feux d’artifice crépitent dans tous les sens et embrasent le ciel de prouesses pyrotechniques spectaculaires qui peuvent même souvent devenir incontrôlables et générer de gigantesques incendies involontaires.

3. Chance et malchance : conjurer le sort

La tradition veut que l’amusement prenne une forme différente selon l’âge, voire la région des participants.

Pour annoncer l’arrivée de la nouvelle année, certains hommes se griment le visage en noir, endossent un costume rouge et parcourent les rues en dansant et en chantant.

Mais les plus jeunes ne sont pas en reste : des bandes de petits plaisantins se dissimulent sous des tchadors traditionnels et jouent des tours aux braves gens en allant de porte en porte, munis d’une boîte en fer ou d’un bol de métal sur lesquels ils tambourinent avec une cuillère : se faisant ainsi passer pour des morts, ils font peur à leurs “victimes“ afin d’en obtenir argent ou friandises.

Cette coutume rappelle là encore une ancienne tradition qui voulait que ces derniers jours de l’année-là, les ancêtres rendent visite aux vivants et en obtiennent de quoi apaiser durant une année de plus leur propre séjour au pays des ombres souterraines. Ce dernier rituel-ci est appelé le qashogh-zany (tapement de cuillères) et il représente symboliquement le fait de chasser avec lui le dernier mercredi de malchance de l’année

Malchance et chance composent une variation du couple ombre-lumière. Et d’autres traditions de ce type ont cours cette nuit-là un peu partout dans le pays. Durant le rituel de Kouzé Chekastan, on casse par exemple des jarres en terre cuite, censées contenir la mauvaise fortune de quelqu’un.

A Téhéran, la population avait pour coutume de jeter depuis le toit de sa maison, une cruche qui n’avait jamais servi de l’année. On envoyait aussi les jeunes filles célibataires écouter aux portes et ce qu’elles entendaient déterminait alors si elles épouseraient bientôt ou pas un homme gentil. Bien évidemment l’amour et le libre-arbitre sont depuis longtemps entrés en scène et ont fait vaciller cette pratique-ci. Lorsqu’elles continuent à le faire, c’est naturellement par pur plaisir, pour s’amuser.

A Ispahan, on trouve à peu près les mêmes traditions que dans la capitale. Avec le Guéré-gochayi, si une personne est malheureuse, elle doit faire un nœud à son mouchoir ou à n’importe quel autre morceau de tissu, se poster quelque part avec et y rester avec jusqu’à ce que quelqu’un passe et qu’elle soit en mesure de lui demander de le dénouer. S’il ou si elle y parvient, la mauvaise situation où cette personne se trouvait se résoudra d’elle-même.

Le Fal-gouche est une autre de ces pratiques. Elle est toutefois plus proche de l’art divinatoire puisqu’elle consiste à écouter et à interpréter les conversations des passants.

A Chiraz, c’est “l’homme de la cité” lui-même qui conjure le mauvais sort. Les gens croient que s’ils se baignent dans le qanât de Saadi, à la veille du dernier mercredi de l’année, ils ne seront pas malades l’année suivante. Quant aux jeunes filles, elles vont prier au sanctuaire sacré de Chah-e Tcheragh et demandent bel avenir et mariage heureux !  Et comme toutes les occasions sont dans cette ville-ci bonnes pour rendre hommage au célèbre poète persan, une partie des habitants de la ville se rend le mardi soir sur la tombe de Hafez en lisant ou en récitant l’un de ses poèmes.

Une amie m’a rapportée qu’à Tabriz, si les gens sautent comme partout par-dessus le feu le mardi soir, que les jeunes filles ont le droit d’aller écouter aux portes, que les femmes s’achètent un nouveau miroir, les hommes un balai neuf. C’est le mercredi matin que pour se garantir de passer la nouvelle année sous les meilleurs auspices, tous les membres de la famille se retrouvent pour aller sauter de trois à sept fois dans les sources et les ruisseaux environnants !

4. Pour conclure

Ajoutons enfin pour conclure sur une note apéritive que la célébration symbolique du passage de l’hiver et de la proche arrivée du printemps passe également en Iran par l’ingestion d’une nourriture bien terrestre.

Calorique puisqu’il fait encore froid, elle se doit d’être riche en sucres, moelleuse et fondante au palais. Mais néanmoins annoncer également l’abondance des futures récoltes de l’année à venir. La friandise de prédilection de cette soirée-là porte elle aussi un nom caractéristique :  c’est l’Ajil-e Moshkel-goshâ

Censé résoudre lui aussi tous les problèmes en garantissant la santé et le bonheur de l’année à venir, il suffit d’en manger une cuillerée en faisant un vœu et le problème ou le mal dont on souffre sera balayé.

Ce dessert médecin et porte-bonheur que l’on offre également pour Yalda consiste en un subtil mélange de noix, de noisettes, de pistaches, de raisins secs, de figues et de mûres blanches séchées.

La fête ne durant qu’une seule soirée, elle n’est par contre pas l’occasion d’une autre confection de plat particulier.

L’imminence de la célébration de Norouz dictant en effet d’attendre quelques heures de plus le début des festivités qui permettront à la famille de se rassembler autour du Haft-Sin avant de partager les plats longuement mijotés qui content dans leur composition la symbolique d’une cuisine éminemment reliée au rythme de la nature et à l’écoulement des saisons.

Germaine le Haut Pas
9 Mars 2022

Norouz ou Nowruz:

Nouvel an iranien le 21 Mars 2022.
Voir Notre numéro 1 du Mois de Mars 2021(orient-heritage.fr)

Sadeh:

Cent jours avant Norouz, cette fête voit à cette occasion, depuis l’antiquité les populations de la région se réunir autour du feu en attendant le retour de l’été.

Shab-e Yalda:

Célébration iranienne de la nuit la plus longue de l’année, la fête de Yalda est aussi nommée la fête du Pardon. Voir notre numéro de Mois de Novembre 2021 (orient-heritage.fr)

 

 

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Marjan Saboori

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