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 Construire en terre en Iran

Construire en terre en Iran

De Bam à Garmeh, Sud de l’Iran. Province de Kerman. Bam, 25 Décembre 2003 : toute la journée, les poules, les moutons et les chèvres ont hurlé sans raison apparente dans l’enclos d’Ali. 26 décembre, cinq heures du matin. Il fait encore nuit noire, mais le maître de maison est réveillé par une terrible secousse. Il fait un froid glacial. Toute la maison tremble. Il ne comprend pas ce qui se passe. L’instant précédent, ils étaient dix-huit dans la petite bâtisse rafistolée de bric et de broc au fil des années. L’instant suivant, il est seul : le silence s’est abattu : toute sa famille vient de périr dans les décombres, sa maison s’est écroulée sur elle-même, victime d’un tremblement de terre de 6,5 sur l’échelle de Richter. Comme plus de quatre-vingt-dix pour cent des habitations de la ville que dominait pourtant du haut de ses 2 700 ans d’existence, l’ancienne citadelle entièrement construite en terre crue et qui figurait comme la plus ancienne cité de ce type de toute la planète. En dix secondes, tout a été anéanti et il ne reste plus à Ali que ses yeux pour pleurer au milieu des hurlements qui montent de partout.

Citadelle ye are

La catastrophe cause la mort de presque quarante mille personnes. Beaucoup attribuent alors à tort au matériau vernaculaire employé pour construire les maisons et la citadelle la responsabilité de cette hécatombe. Presque deux décennies plus tard, on réfute cette accusation. Elle est d’autant plus mal fondée qu’en matière d’architecture et de construction, la recherche s’est au contraire dans le monde entier largement inspirée d’un savoir-faire ancestral dont le formidable patrimoine bâti en terre de l’Iran atteste au contraire de l’intelligence et de l’adaptation aux normes climatologiques et géologiques du pays.Séisme de Bam


Petit retour en arrière

Les historiens rappellent qu’à plusieurs reprises au cours de son histoire, BAM fut déjà victime de plusieurs accident sismiques. D’un point de vue strictement topologique, le plateau iranien, en particulier les multiples prolongements des chaines montagneuses du Zagros et de l’Alborz, est situé sur la ceinture sismique qui va des Alpes à l’Himalaya. Ce plateau déplore en outre d’innombrables failles aussi bien dans les régions montagneuses qu’en son centre. Le pays est donc à la merci des tremblements de terre.

La vieille citadelle en brique crue et en argile de Bam s’étendait jusqu’en 2003 sur une largeur de plus de 6000 kilomètres carrés. Elle dominait la pente et le haut d’une colline de sable en bordure de la fameuse “Route de la soie”. De nombreuse maisons en briques crues n’y étaient alors plus entretenues correctement depuis près de soixante ans et lorsqu’elles s’abîmaient, on les réparait avec des briques cuites, du ciment, des parpaings, du béton armé, du fer, de la tôle. Tous matériaux modernes qui s’empilaient les uns aux autres sans aucun respect ni des normes sismiques ni de leur compatibilité entre eux.

Si tout comme les bâtiments modernes, aucune de ces maisons de bric et de broc ne résista lors de la catastrophe, il s’avéra par contre, rapidement que les maisons anciennes en brique crue avec leurs belles voûtes en arceau et leurs terrasses avaient survécu au tremblement de terre parce qu’elles, elles avaient été régulièrement entretenues. Preuve que face à un cataclysme de cette importance une construction vernaculaire adéquate était un impératif absolu.

Déjà près de vingt ans se sont écoulés et presque soixante pour cent de la ville ont été aujourd’hui reconstruits. Mais la leçon de sagesse est encore loin d’être terminée : même si le site est toujours inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, nombre de bâtisseurs des zones désertiques restent de fervents adeptes du béton et d’autres matériaux inadaptés et importés souvent inaccessibles à des populations rurales ou semi-rurales déplacées ou appauvries. Lobbies du béton et tenants de l’architecture traditionnelle en terre sont en effet encore aujourd’hui des ennemis jurés,

Un bond en avant

Vers la fin des années soixante dix en France et notamment à Grenoble, dans une perspective de développement durable, un courant constitué par des architectes et des maçons se remet à interroger les techniques de construction traditionnelles. Ils mettent en évidence le constat que partout dans le monde et de tous temps les gens construisent d’abord avec ce qu’ils ont sous la main. C’est ce qu’on va appeler “l’habitat vernaculaire”. En pierre, lorsqu’il y a de la pierre, en bois, lorsqu’il y a du bois, en terre banchée lorsqu’il y a du bois et de la terre, en pisé ou en briques de terre crue séchée au soleil lorsqu’il n’y a que de la terre et un peu de paille…

Aux Etats Unis se déroule la même réflexion et de somptueuses demeures d’architectes en pisé vont s’édifier en Californie et aux Nouveau Mexique sur le modèle des modestes demeures des indiens Hopi pour mettre en avant les performances séismiques, caloriques, économiques et esthétiques du matériau “terre”.

Simultanément d’autres précurseurs avaient taillé la voie, comme Hassan Fathy, qui, en Egypte construisait pour les pauvres. Sans parler des innombrables exemples africains.

Bref, un mouvement à l’échelle des plus démunis s’ébranlait. Projet d’envergure puisqu’il consistait non pas à revenir vers le passé mais à opérer une révolution cognitive. Pourquoi les pays pauvres dotés souvent de climats secs devraient-ils se plier à un mode de construction conçu pour des latitudes où il pleuvait beaucoup et avec des matériaux et des engins qui n’existaient pas sur place et qu’il fallait importer à grands renfort de devises étrangères et donc d’un nouvel appauvrissement programmé?

La réflexion, va bien au-delà de la nostalgie de la tradition : elle est économique. Pourquoi les pays du Sud ont-ils tourné le dos à leur culture et à un savoir-faire vernaculaire qui prenait en compte la logique de leur sol et le travail de leurs mains? La réponse en est simple et à double détente : se moderniser, c’est à dire, abolir leur savoir-faire et leur savoir-être pour devenir semblables à ce qui leur semblait alors devoir signifier la richesse, l’ingénierie et par là même l’affranchissement par rapport aux contraintes économico sociales.


Le contre-exemple iranien

Une ville iranienne permet en partie de répondre à cette question. Yazd est située au centre de l’Iran, au croisement de deux déserts, comme nous l’avons vu dans un numéro précédent (Juillet-Aout 2021). La vieille ville est bâtie en terre, et la succession de toits terrasses aux multiples voûtes couleur ocre, hérissées des hautes épines des badguirs (les tours à vent) où s’engouffrent et se rafraîchissent les courants d’air, fait partie des images du pays les plus célèbres. Sous le sol, à une bonne profondeur circulent là les qanâts qui distribuent loin dans les environs l’eau descendue des lointaines montagnes. Cette intelligence de la préservation sous-terraine, ce souci de prendre soin de la valeur la plus rare qui soit, à savoir l’eau, afin de la redistribuer et de faire se prolonger la vie de tous est un trait fondamental de cette culture. Préserver ce qui a été construit par la sagesse et le travail manuel de ces maçons et de ces innombrables tailleurs de pierre du passé afin de permettre que la vie se poursuivre en surface à travers tout le pays. Vivre de ce que l’on a. L’entretenir. Le faire au mieux fructifier pour lui permettre de continuer à être, mais dans une logique économique et sociale qui préserve la liberté et la dignité de l’ensemble de la communauté des vivants, humains et non humains.

un oasis au cœur du Dasht e KAVIR près de Bam

S’impose ici de revenir à une scène dont nous fûmes nous-mêmes témoins à Yazd il y a cinq ans. A deux pas de la Mosquée du Vendredi, un groupe d’hommes étaient en train de réparer une petite voûte sur un toit terrasse voisin. Un palan rudimentaire hissait à la hauteur du toit les briques qui se trouvaient en contrebas, en aval d’un grand trou dont on avait extrait la terre pour la mouler en forme de petites briques qui achevaient de sécher sous l’écrasant soleil de midi. Au sol, un ouvrier faisait contrepoids, les briques montaient, en haut, un maître-maçon les saisissait et les posait à mesure délicatement en arrondi sur une fine couche de mortier de terre que sa truelle déposait avec une délicatesse et une précision de chirurgien. Ses mains contrôlaient de la paume et de la pulpe de ses doigts la courbure de l’arceau des briques, l’inclinaison de la pente, le lissage de l’ensemble. Le tout était à la fois tactile, sensuel et mécaniquement parfait. Le maître-maçon vérifiait au toucher et presque à l’instinct les données physiques et à ses côtés un apprenti maçon en faisait simultanément l’expérience. Ils travaillaient tranquillement. Mais la voûte semblait incroyablement naître de leurs propres mains.

Or ce type d’apprentissage qui constitue l’essence même de la transmission d’une expérience fondée sur une pratique réfléchie fait partie de ce qui se trouve irrémédiablement perdu lorsque, loin de cette pratique immédiate, concrète et fondée sur une même expérimentation tactile de la matière, l’enseignement, ne se dispense plus que de manière abstraite et dans une relation doctorale et désincarnée de” sachant “à “obéissant”.

On s’en aperçoit, la revalorisation des modes de construction traditionnels, en Iran, notamment repose la question de l’enseignement tant de cette matière que d’un mode de vie spécifique où il y va de l’identité d’un peuple et de la spécificité d’une culture profondément rattachée elle-même à l’interaction entre l’homme et la nature.

De Bam à Parvaneh

Garmeh. A 650 kilomètres de Téhéran, s’étend le Dasht-e-kavir, le plus grand désert couvert de sable, de sel et de montagne rocailleuses. Parmi les toutes petites villes qui viennent à subsister sur ces 77000 kilomètres carrés, Garmeh occupe une place à part. Appelée aussi “la silencieuse,” cette oasis abrite une centaine de moutons, douze dromadaires et 200 Habitants. Les maisons sont ici toutes en terre, mais peu ou prou mal entretenues, toujours à cause de cette défiance vis à vis de l’ancien. Situé au pied d’une barre rocheuse, elles sont dominées par un château en terre de quatre étages et pourtant lui en bon état!

Garmeh en remontant vers Ispahan

En remontant au-delà vers Ispahan, le voyageur découvre Garmeh et ses quelques 206 habitants. C’est là qu’un cabinet d’architectes de Téhéran, BAM ARCHITECTS, a décidé de construire pour un retraité qui voulait échapper à la vie trépidante d’Ispahan Through Garden Houses. Après avoir vu plusieurs constructions nouvelles dans des villages ruraux similaires copiant l’architecture néoclassique du 18ème siècle, l’atelier choisit de préserver pour le nouveau bâtiment l’aspect vernaculaire du village. Par conséquent, celui-ci présente des similitudes avec des structures voisines, qui semblent être délabrées.  Le but des architectes, Babak Payvassteh qui travaille avec sa femme Malineh Salimi, a été de concevoir quelque chose de plus local :

brique crue utilisée pour la construction traditionnelle en Iran et Through Garden House

– « Nous avons dit à notre client que nous devions continuer la continuité historique dans les villages, sinon, nous perdrions nos grands patrimoines architecturaux. Le plan en forme de U de la résidence enveloppe un jardin central, ce qui lui a valu le nom de Through Gardens House. L’aménagement fait référence aux maisons traditionnelles de la cour intérieure de l’Iran, offrant les avantages d’une lumière du jour et d’une ventilation naturelle dans le climat désertique. Pour en tirer le meilleur parti, les murs autour de la cour sont munis de grandes fenêtres tandis que celles du dessus comportent des ouvertures rectangulaires pour apporter de l’air frais. Des marches en briques enveloppent la cour de gravier pour descendre de l’intérieur de la maison et forment des bancs pour permettre au résident de s’asseoir dans le jardin. La majeure partie de la résidence est située au rez-de-chaussée surplombant la cour. Les chambres à coucher et la salle de bains sont situées d’un côté avec un hall reliant la cuisine ouverte. Le salon et la salle à manger de l’autre côté, la base de l’îlot de cuisine, sont en briques comme un clin d’œil à la maçonnerie extérieure. Un mur vitré, de l’autre côté de la cuisine donne sur une terrasse étroite avec barbecue à l’arrière de la Résidence. Une autre pièce, au premier étage, occupe des espaces de part d’autre de la terrasse. A part quelques briques les finitions monochromes sont utilisées pour créer un contraste avec les couleurs et les textures à l’extérieur de la maison. La finition pâle comprend les carreaux qui couvrent le sol et les murs en brique peinte en blanc. D’autres murs sont recouverts d’un stuc blanc qui offre une toile de front vierge pour les œuvres d’art du propriétaire. »

L’ensemble des projets du cabinet se situe dans des villages situés juste à l’extérieur de la ville. Ces dernières années, l’architecture iranienne a connu un certain boom, les architectes locaux étant devenus plus aventureux et plus ouverts après la levée de sanctions économiques paralysantes.

Si ces réalisations sont exceptionnelles, elles démontrent que la réalité est en train de bouger et qu’à tous niveaux la profession commence à se mobiliser sur la question. Même et surtout au niveau de l’enseignement. Nombre de jeunes étudiants iraniens ont à leur tour opéré une réflexion esthétique, économique et géopolitique sur l’habitat des zones désertiques et semi-désertiques de l’Iran. Certains se sont rendus compte qu’il n’existait pas de pédagogie dans le domaine de l’architecture de terre en Iran, et un Diplôme Universitaire a donc été aménagé sur la question afin de réhabiliter tant le patrimoine pluri millénaire du pays que l’apprentissage et la transmission d’un savoir-faire particulièrement adapté aux modifications imposées par le réchauffement climatique à l’échelle de la planète.

Cette révolution souhaitée tant que par les nouveaux diplômés que par leurs enseignants dont beaucoup sont désormais maçons et non plus ingénieurs se propose entre autres de remettre le corps et la main au centre de l’apprentissage. La main fait autant qu’elle façonne la terre. Chaque construction est une histoire de la présence de la main humaine.

S’appuyant sur une miniature de 1494 de Maître Kamalledin Behzad intitulée “ Bataille de la terre et du palais”, l’une de ces jeunes étudiantes souligne que “cette peinture représente plus un bâtiment de terre qu’un palais de rêve. Le manque de contraste de couleur entre le bâtiment et le sol nous fait voir les murs du bâtiment comme faisant partie du terrain sur lequel celui-ci est construit. Le bâtiment monte avec sa construction. Ici, ce qui vient en premier, c’est la matière première. Une matière qui est à la fois un pigment minimal, de la terre et de l’adobe.

miniature persane de Maître Kamalledin Behzad intitulé « Bataille de la terre et du palais »

Si l’histoire du Palais de Khornagh est celle de la double présence des mains humaines dans la construction du palais et dans la peinture, l’architecture peut-être un moyen de penser aussi bien le futur que le travail, la société, et le climat.

Citons donc avec ces jeunes architectes iraniens de demain ce que disait déjà en 1644 le philosophe John Bellver, “ La main est le seul langage qui soit naturel à l’homme. Elle est pour ainsi dire la langue et le langage de la nature humaine, lequel sans avoir besoin de l’apprendre, permet de se comprendre sans aucune difficulté dans toutes les régions du monde habitable”

 

Germaine Le Haut Pas
25 Septembre 2021

 

 

 

 

 

 

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Marjan Saboori

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