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 LA FÊTE DES ROSES

LA FÊTE DES ROSES

GOL-O-GOLAB

GOLAB – GUIRI

LA FÊTE DES ROSES

En guise d’introduction :

Si la rose “reine des fleurs” est omniprésente dans l’héritage culturel, littéraire, et pictural iranien, les roses de Perse ont une histoire très ancienne : leur présence est attestée dès le 10ème siècle avant notre ère, c’est à dire bien avant qu‘en 1234, la Rose de Damas, nom de la variété aujourd’hui là plus largement cultivée dans le pays ne soit rapportée en France par Robert de Brie, le croisé. Cultivée à Provins où celui-ci habitait, elle devient alors la rose de provins puis la Rosa Gallica. Au sujet de son nom, circule une autre anecdote : un gouverneur byzantin alors en visite à Ghamsar, un des petits villages qui entourent Kashan fut tellement séduit par la fragrance des roses de la région qu’il en emporta quelques boutures à Damas. Et c’est ainsi que la fleur de perse par excellence devint la Rosa damascena.

La culture de la rose n’était pas non plus une nouveauté en Iran. L’histoire de la distillation, l’exportation et l’utilisation des essences florales à des buts médicaux, cosmétiques et gastronomiques remontent dans le pays à l’Antiquité où on produisait et consommait les eaux et les essences florales et aromatiques dans toutes les régions du vaste empire perse. Ainsi, les fleurs avaient toujours occupé une place importante dans la médecine traditionnelle de l’Iran préislamique, c’est-à-dire la médecine des plantes. Les tablettes et les bas reliefs de Persépolis traitant de ce sujet sont la preuve formelle de l’importance des fleurs dans la société iranienne, médicalement et généralement parlant.

Preparation de l’eau de Rose - village de Ghamsar

A ce sujet, on peut faire allusion au Canon du grand savant iranien Avicenne, cet ouvrage de médecine écrit il y a mille ans – et enseigné jusqu’au début du XIXème siècle dans les facultés de médecine européennes-, qui évoque, dans des contextes différents, l’utilisation de la rose en tant que remède à plusieurs maladies.

Réputée pour son essence, on utilise toujours cette rosa damascena dans l’industrie des parfums et le cosmétique moderne. Produit précieux par excellence, elle est essentiellement cultivée et transformée dans une province aux conditions climatiques extrêmement arides, celles d’Ispahan et en particulier dans les villages qui environnent Kashan.

La politique des grands travaux du Roi Shah Abbas Premier (1588-1629) dans la nouvelle capitale perse eut pour effet la création des fameux canaux souterrains, les qanâts, ce système d’irrigation complexe qui alimentait en eau toutes les zones désertiques. La ville se métamorphosa alors en une oasis particulièrement propice à la culture de ces roses qui firent alors d’Ispahan “ la Rose de l’Orient” surnommée “la Cité des Roses”. Par-delà la littérature et la musique, parfumeurs prestigieux et pâtissiers ont cherché à reproduire toute l’émotion des sens que cette rose suscitait depuis des millénaires et pour certains, le rosier d’Ispahan est le meilleur des rosiers anciens non remontants. “ Ces roses sont envoûtantes tant par leur subtil camaïeu de couleurs et de parfums que par leur grâce.” A tel point qu’elles ont laissé une trace dans l’histoire littéraire française, dont le plus bel exemple est probablement le poème de Leconte de Lisle « Les roses d’Ispahan », plus tard mis en musique par Gabriel Fauré. Dans Vers Ispahan, un autre écrivain français amoureux du Pays, Pierre Loti, invite le lecteur de 1904 à l’accompagner « à Ispahan » pour « venir voir la saison des roses ». “Des roses, des roses ; en cette courte saison qui mène si vite à l’été dévorant, on vit ici dans l’obsession des roses.” 

A défaut de pouvoir nous y rendre nous-mêmes cette année, remontons de la mi Mai à la mi Juin avec le conférencier Paul Lefebvre la route de cette rose tellement symbolique.

 

L’eau de Rose : Une alchimie semi-industrielle ?

La faculté l’adaptation de cette rose a conduit à la plantation de nombreuses et vastes roseraies qui ont à leur tour permis le développement d’une culture et d’un art de la distillation transmis de génération en génération, tel un secret bien gardé, fait de traditions ancestrales. Aujourd’hui, l’obtention de l’eau pure et de l’essence de rose s’industrialisent peu à peu, se « déshumanise » et perd lentement sa valeur poétique. Malgré cela, chaque mois de mai, les cultivateurs lancent la récolte au son de musiques et de prières traditionnelles et la récolte et la distillation est plus que jamais une cérémonie qui attire chaque année des milliers de visiteurs.

A ce sujet, il est intéressant de noter que les méthodes et les outils de travail traditionnels utilisés dans les ateliers de Kâshân– les alambics de cuivre, foyers, les ruisseaux et voies d’eau souterraines nécessaires au refroidissement du résidu, etc. donnent une magie inoubliable à cette récolte et transforment la distillation en une alchimie mystérieuse.

Poésie mise à part, c’est à Ghamsar que cette distillation et l’obtention de l’essence et de l’eau de rose deviennent « industrielle » ou plutôt commerciale, c’est-à-dire que leur production a prit une ampleur inédite jusqu’alors pour en faire quasiment un produit d’exportation car avant cette révolution, les essences florales n’étaient produites en Iran qu’à très petites doses, en tant que médicaments. J’en donne pour preuve le Journal du voyage du Chevalier Chardin en Perse, et autres lieux de l’Orient de Chardin à la fin du XVIIème siècle, sous le règne des Safavides. Dans un chapitre de son ouvrage, Chardin relate son passage à Ghamsar et décrit en détail l’industrie et le commerce des essences et eaux florales en Iran et précise que ces eaux et essences sont exportées dans toute l’Asie.
Vu les difficultés de voyage, l’absence des voies de communication adéquates et des moyens de transport, il est facile d’imaginer l’importance de cette industrie en Iran, puisque malgré toutes les difficultés existantes, la production était suffisamment importante pour être exportée. Autre preuve de cette importance, la Grande Encyclopédie Dehkhodâ qui précise dans son article « Ghamsar » que le plus important produit de la région est la rose et que chacun des quelques 70 ateliers de cette ville en utilise une demi tonne par jour.

Quoiqu’il en soit, cette industrie, bien qu’encore artisanale et très peu industrialisée, a permis dans une certaine mesure l’essor économique de la région et même au delà. De plus, les ateliers existants aident à la création d’emplois liés à la diversification des produits dérivés de la rose. Dans la langue persane si les roses sont indifféremment appelées « fleurs rouges », seule la rose de Damas, a un nom plus précis : » rose de Mohammadi ». Il est intéressant de noter la symbolique de cette dénomination en considération du fait que l’eau de rose, au-delà de son utilisation médicale, cosmétique et gastronomique, est vaporisée dans les lieux saints et lors des cérémonies religieuses et du coup qu’une vision assez originale s’y attache, poétiquement et mystiquement.

Une économie tournée vers l’avenir?

 Employant localement près de cinq mille personnes, la culture et la transformation de la Rose se calquent de plus en plus sur les critères environnementaux de respect des sols et de préservation de la nature. Les fleurs grandissent sans engrais ni pesticides, nombre d’agriculteurs recourent à des méthodes issues de la permaculture la plus audacieuse comme le compost à base d’écorces de pistaches et les fleurs ne sont précautionneusement cueillies une à une qu’à la main, avant le lever du soleil, afin que surtout le parfum ne soit pas détruit pas ce dernier lorsqu’il est au zénith.

Ce sont en majorité les femmes et les enfants – surtout les fillettes, qui ramassent pendant cette période de quinze jours – trois semaines. Mais on compte également nombre de petits garçons et d’adolescents portant la tenue traditionnelle noire et blanche. Si on s’y habille en costume brodé traditionnel pour venir ramasser du bout des doigts le bouton de rose que l’on pose alors au fond du grand tablier porté sur les hanches, on va ensuite verser le contenu de celui ci entre deux rangées de rosiers dans une toile posée à même le sol dont on remplit d’immenses sacs en plastique. Ceux ci sont apportés ensuite rapidement à la distillerie de la semi-coopérative ou de la compagnie pour y être pesés avant de partir pour Ghamsar pour y être distillés. On verse alors les pétales dans de grands chaudrons de cuivre mis à chauffer sur des foyers dans les cours (golab ghiri). On les recouvre d’eau, compter trente kilos de fleurs pour 70 litres d’eau. On referme le couvercle des golab jusqu’à ce que l’eau commence à bouillir. Elle bout alors pendant quatre heures.  On recueille la vapeur qui s’en échappe dans des jarres que l’on place pour les faire refroidir dans les petits canaux emplis de l’eau pure des ruisseaux des montagnes environnantes qui courent dans la cour de la distillerie. On extrait alors l’huile essentielle, puis l’hydrolat… Avant que l’une ou l’autre ne passe à l’embouteillage. Dans certaines maisons, on procède à une double extraction en faisant bouillir une seconde quantité de pétales avec l’eau obtenue à l’issue d’une première cuisson-filtration. Le jus ainsi doublement concentré, rentre alors dans la fabrication des huiles essentielles.

Les jeunes mères viennent souvent travailler avec leurs bébés et il n’est pas rare de voir dormir l’un d’eux au centre de berceaux remplis de pétales de roses ! Ainsi cette fête des roses à l’ombre des nombreux saules pleureurs et des ruisseaux murmurant devient-elle, dès lors pour tous, une fête des sens. Sans faire de publicité pour l’un ou l’autre de ces producteurs mentionnons d’ailleurs que plus au Sud, à Kerman, certaines firmes familiales comme la Sanati Fondation, organisme non lucratif fondé en 1978 par Homayoun Sanati et sa femme Shahindokht Sanati, sont non seulement équitables mais poursuivent un projet social particulièrement éthique car elles viennent en aide à des centaines de fermiers pauvres désireux de passer en production totalement bio. Non contentes de bien traiter le sol, d’employer des femmes sinon sans travail, et de jeunes handicapés elles reversent les bénéfices de leurs ventes à l’orphelinat qu’elles ont fait construire et que certains ont à cœur de continuer à faire vivre en donnant à leurs 250 jeunes bénéficiaires non seulement une éducation complète et de l’argent, mais un métier hautement qualifié.

L’eau de rose en chiffres:

 L’eau de rose de Kashan baptisée Golâb est un incontournable de l’Iran. Elle est produite à Ghamsar, Jashgan Qali, Barzak et Niasar. La production traditionnelle a lieu dans les maisons, les jardins et dans quelques petites coopératives et entreprises familiales.

On recueille 26 000 tonnes de pétales chaque année que l’on fait bouillir dans des pots de cuivre. Il existe également quelques entreprises plus industrialisées, mais aux dires des jeunes et des anciens, la rose est une part de l’âme du pays et quoiqu’il en coûte tous cherchent à en sauvegarder la magie et l’image respectueuse d’une nature préservée.

Pour 1 000 mm d’huile essentielle de rose, il faut 4 tonnes de pétales.

Pour avoir 1 000 mm d’absolut de rose (hydrolat) il en faut 1 tonne soit 1 600 000 fleurs

1 kg/litre d’huile essentielle de rose coûte entre 5 000 et 12 000 euros

1 kg/Litre, d’absolut de roses coûte 1 400 Euros

On trouve aujourd’hui aussi en Bulgarie, en Turquie, en Inde, au Japon, et en France où elle est produite à Grasse, ville par excellence des parfumeurs où elle coûte encore plus cher !

Festival de la Rose, GOLTCHINI à Kashan

Ritualisée depuis toujours, cette cueillette a une très forte connotation sociale et identitaire : de plus en plus nombreux sont les touristes de tout le pays et même de l’étranger qui viennent y assister. L’air embaume de partout pendant les deux semaines du festival qui dure toute la seconde partie de Mai.

Regroupant des manifestations associant prières, bénédiction des lieux saints à l’eau de rose, musique, chants et danses en costumes traditionnels des hommes et des femmes, festivités dans le caravansérail de Gabrabad et séances de lutte iranienne, le festival de GOLTCHINI voit également des projections de films se succéder dans les deux ou trois petits villages de la Région. Les soirées se poursuivent autour des longues tables couvertes de mille et un mets cuisinés naturellement avec la précieuse fleur tandis que des plateaux de thé parfumé à l’eau de rose virevoltent entre les festivaliers et des cueilleurs fatigués mais enchantés.

rose

Anne Doeux
Avril 2021

Dès que les conditions sanitaires le permettront nous serons en mesure de proposer aux amateurs des séjours-découvertes de la région et de cette culture si particulière.

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Marjan Saboori

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2 commentaires

  • longtemps j’ai habité Cachan !

  • Bravo pour ce très bel article !

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